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Il y a 150 ans: l'Unité italienne

Giuseppe Bertini, Entrée de Napoléon III et de Victor-Emmanuel II à Milan après la bataille de Magenta, 1859, Milan, Museo del Risorgimento

Au fur et à mesure des textes qui ouvrent ce site, s’il est un pays qui revient fréquemment c’est bien l’Italie, pour ses peintres, ses lieux incomparables, son histoire riche d’enseignements et de gloire. On oublie trop souvent que cette nation n’existait pas il y a encore 150 ans. Il a fallu attendre le 17 mars 1861 pour que le roi Victor Emmanuel II prenne le titre de « roi d’Italie » et crée officiellement ce nouvel Etat, constitué à force de patience et de combats.

La République italienne a organisé beaucoup de célébrations cette année, en particulier un mémorable concert au Theatro dell’Opera à Rome où le chef Riccardo Mutti a dirigé une très belle version du Nabucco de Verdi. Cet opéra, si cher au cœur des Italiens, et son Chœur des esclaves au 3e acte sont encore considérés comme un hymne à la liberté. Si les divisions politiques autour de l’Unité italienne ne sont toujours pas éteintes, 2011 a tout de même marqué un moment important dans la conscience nationale et les différentes manifestations ont toutes rencontré un grand succès populaire que venaient ponctuer de vibrants « Viva Italia ! »

Nation neuve, encore en construction, tant les rivalités entre le Nord et le Sud sont nettes et difficiles à surmonter, l’Italie reconnait devoir beaucoup à la France et à la famille Bonaparte. C’est aux deux empereurs des Français que l’on doit un intérêt pour la question nationale italienne. Napoléon Ier en créant le Royaume d’Italie a mis les bases de l’unité du territoire, sous son égide et celles de ses alliés, la péninsule a trouvé une organisation politique centralisée et moderne, qui, cependant, n’a pas résisté au Congrès de Vienne. Après 1815, les petites principautés reprennent leurs droits, la Vénétie et la Lombardie sont administrés par des archiducs autrichiens, la Toscane appartient à un prince de la dynastie des Habsbourg et l’ancienne Impératrice des Français, Marie-Louise devient duchesse de Parme et Plaisance. Napoléon n’a pas réussi à construire un Etat durable, il a néanmoins développé l’idée d’une nation unie et à ce titre il jouit d’une place importante dans la mémoire collective. Il suffit de lire l’immense poème de Manzoni Il cinque Maggio, pour s’en convaincre.

C’est aux souverains piémontais de la famille de Savoie que l’on doit le Risorgimento. Victor Emmanuel II, son ministre Cavour et Garibaldi sont les artisans de l’Etat italien, pourtant, leur lutte n’aurait pu aboutir sans le soutien souvent mesuré et parfois paradoxal de la France. Depuis quelques jours une exposition à l’Hôtel national des Invalides retrace cette histoire si foisonnante des relations franco-italienne durant les « guerres d’indépendance » ; très pédagogique, elle présente beaucoup de photographies des grands acteurs et des objets ayant appartenus aux soldats combattant pour la liberté de l’Italie.

Héritière de la Révolution de 1789, la IIe République a œuvré dans le sens des indépendantistes italiens, soutenant les idées révolutionnaires dans la péninsule et aidant à la création des républiques nouvelles comme à Rome ou à Venise autour de Mazzini et de Daniele Manin. Cependant, l’élection à la Présidence de la République du prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur, marque un retournement majeur : acquis à une politique plus conservatrice, le Prince-Président envoie un corps expéditionnaire pour ramener le pape Pie IX dans ses Etats, alors qu’il en avait été chassé par les Républicains de Mazzini.

La proclamation de l’Empire en 1852 ne change rien à la donne, Napoléon III protège le pape et ne veut pas que l’on touche aux Etats pontificaux. Le processus d’unification se poursuit, le roi de Piémont gagne rapidement en force et en 1859, lors de l’entrevue de Plombières, Napoléon III accepte d’aider Victor-Emmanuel II et Cavour dans leur lutte contre l’Autriche. Les deux batailles de Magenta et Solferino marquent la défaite de l’empire austro-hongrois mais pas pour autant une victoire de l’Italie, Napoléon préférant traiter avec François-Joseph et signer l’armistice de Villafranca ; c’est un nouveau revirement que Cavour n’accepte pas.

La politique intérieure française oblige l’empereur à négocier : sans renier son soutien à l’indépendance italienne, il n’en reste pas moins intransigeant sur la survie des Etats du Pape dans l’Italie nouvelle. Après 1860, le France fait presque figure d’obstacle au Risorgimento tout en se félicitant officiellement de la proclamation du Royaume d’Italie. Turin est la capitale de ce tout jeune pays, il y aura ensuite Florence, puis Rome, mais cela se fait dans une hostilité déclarée à la France et à sa politique ultramontaine. Seule la guerre franco-prussienne de 1870 résout la « question romaine », et en 1871, l’Italie est totalement unifiée. La France a ainsi joué un rôle crucial dans la vie politique de la péninsule. C’est cette alternance de soutiens et d’obstacles que l’exposition aux Invalides tente de mettre en lumière. Elle permet de mieux comprendre une histoire complexe qui reste toujours présente et très vivante chez nos voisins d’Outremont.

« Napoléon III et l'Italie : naissance d'une nation 1848-1870 », Salles Chanzy et Pélissier du Musée de l’Armée, 19 octobre 2011 – 15 janvier 2012.

Olivier Andurand, le 24/10/2011.

Fra Angelico, peintre de la Lumière

Le couronnement de la Vierge, Musée du Louvre.

Il est toujours surprenant de constater qu’une personne, dont le nom vous semble pourtant familier, ne s’est jamais appelée ainsi : Fra Angelico, le frère angélique, désigne en fait un moine dominicain dont le vrai patronyme était Guido di Pietro.

Né dans les environs de Florence vers 1390-1400, le jeune homme rentre au couvent de l’Observance dominicaine et choisit le nom de Fra Giovanni da Fiesole. Lorsqu’il prend l’habit, la chrétienté est encore dans les affres du Grand Schisme, deux papes prétendent diriger l’Eglise et bientôt un troisième vient complexifier une situation déjà épineuse. Qui de Benoît XIII, Boniface IX ou d’Alexandre V est le véritable chef de la catholicité ? Cette interrogation suscite beaucoup de réactions et paradoxalement de ferveur religieuse.

Les talents de Fra Giovanni s’épanouissent sous la tutelle d’autres artistes comme Lorenzo Monaco et Gentille da Fabriano. Ils lui apprennent le style nouveau qui se détache progressivement du gothique pour porter Florence vers des nouveautés géniales qui ouvrent la voie de la Renaissance. Au milieu des années 1420, Fra Giovanni rencontre Masaccio qui vient de révolutionner l’art en inventant la perspective mathématique dans la célèbre Trinité de Santa Maria Novella. Le dominicain se saisit tout de suite de cette nouvelle conception de la peinture : pour lui, elle devient le moyen d’illustrer la devise de son ordre : Contemplata aliis tradere, annoncer ce que l’on contemple. La construction géométrique des œuvres lui permet de dire l’ordre de la Création, de représenter la volonté divine dans le monde. Le Couronnement de la Vierge du musée du Louvre a une perspective rigoureuse, tous les anges et tous les saints sont disposés dans une suite ordonnée autour du trône céleste qui constitue le point de fuite de la scène. Seul le couronnement échappe à l’ordre strict du tableau : la représentation réaliste s’arrête là où commence le dogme. La peinture de Fra Angelico est une somme théologique illustrée et une illustration de la science de l’ordre dominicain.

Bénéficiant des avantages de sa situation monacale, Fra Giovanni est un peintre très demandé qui n’a pas à se soumettre aux règles des confréries florentines, il peut répondre aux demandes qui lui sont faites et produire avec l’aide de son atelier sans que des entraves ne viennent gêner son travail. De ses mains sortent une multitude de Vierges à l’Enfant, des retables dans lesquels il laisse voir son talent de conteur dans la prédelle en composant de véritables bandes dessinées, très vivantes et inventives, alors que les parties centrales suivent  avec maestria les désirs des commanditaires.

Parmi les grandes œuvres de Fra Giovanni, il y a sans conteste la suite de fresques qu’il a réalisée pour le couvent San Marco de Florence. Aidé financièrement et politiquement par Cosme de Médicis, les dominicains confient à leur frère la réalisation du décor du monastère. Ainsi, chaque cellule est-elle décorée d’une petite scène, toutes sont différentes et représentent les épisodes de la vie du Christ ; elles devaient être un support pour la méditation et forment un évangile en image. Il exécute une saisissante crucifixion dans la salle capitulaire ainsi qu’une annonciation qui est un chef-d’œuvre absolu de la peinture du XVe siècle. Gabriel vient de prononcer la Salutation angélique, l’ambiance est pleine de sérénité, la Vierge baisse les yeux en signe d’acceptation. Pour les dominicains, c’était le signe pictural d’un des grands dogmes de la chrétienté, mais aussi un rappel de la soumission nécessaire de chaque homme à Dieu et à son supérieur.

Dans cette annonciation, comme dans le reste de ses œuvres, Fra Giovanni utilise des couleurs lumineuses, et rayonnantes. Elles sont dues à un choix de matériaux coûteux comme le lapis-lazuli pour ces bleus si profonds et à une technique hors pair. Chez lui, la couleur est autant esthétique que théologique comme en témoigne le Couronnement de la Vierge. Cette toile sans perspective, le monde divin n’y est pas soumis, montre un moment postérieur au couronnement proprement dit ; le Christ ajoute un joyau au diadème de sa mère, et le peintre a choisi de faire baigner la scène dans un fond doré à la fois classique du style gothique, et en même temps en rupture avec la tradition, car les rayons qu’il fait partir du couple central l’isolent et semblent être la source même de la lumière du tableau.

Reconnu pour son talent, le pape Nicolas V l’appelle à Rome où il entreprend la décoration de la chapelle nicoline qui représente les épisodes de la vie des premiers martyrs, saint Laurent et saint Etienne. Peu avant sa mort, il commence un chantier à la cathédrale d’Orvieto qu’il ne peut achever et qui le sera par Luca Signorelli près de cinquante ans plus tard. Il décède à Rome en 1455, et déjà on parle de lui comme le peintre angélique et on lui donne le surnom qu’il gardera pour le reste de l’histoire : Fra Angelico. Pour les contemporains, sa peinture autant que sa vie austère étaient le signe de sa sainteté.

C’est ce grand peintre que le Musée Jacquemart-André nous donne la possibilité de voir. Grâce au travail exemplaire des conservateurs, plusieurs dizaines d’œuvres ont été rassemblées et permettent de remettre Fra Angelico dans son contexte intellectuel, esthétique et théologique pour mieux comprendre le style et l’art si pur de ce moine artiste qui domine un XVe siècle florentin pourtant si riche en génies !

« Fra Angelico et les maîtres de la Lumière », Musée Jacquemart-André, 23 septembre 2011 – 16 janvier 2012.

Olivier Andurand, le 11/10/2011.

Une invitation au voyage

« L’autore e il fumetto », 1980, aquarelle et encre de chine

Tintin, Astérix, Blake & Mortimer, Gaston, voilà une énumération qui nous porte directement vers les rives de la bande dessinée. Les amateurs du « 9e art » connaissent tout de leur héros favori et de son univers. Aucun tintinophile n’ignore le prénom du Capitaine Haddock – Archibald – et qu’il descend en droite ligne du Chevalier François de Haddock. Un Old Chap fera systématiquement dresser l’oreille à un lecteur des aventures de Francis Blake et de Philip Mortimer et tous les Gaulois savent que Tragicomix et un bellâtre et que son nom s’écrit avec T comme Timeo Danaos et dona ferentes…

Qui sont vraiment Tintin, Astérix ou le professeur Mortimer ? On pourrait tenter d’écrire leur biographie, mais des données nous échappent. Quel âge ont-ils ? Difficile à dire, Tintin est l’image de l’éternelle jeunesse alors que les autres sont plutôt dans la force de l’âge. Cette atemporalité leur confère une dimension universelle qui permet de rassembler tous les lecteurs de 7 à 77 ans.

A la différence des autres, Corto Maltese est un héros dont on peut facilement reconstituer la biographie. Ce personnage inscrit dans les contingences de l’histoire propulse le lecteur dans une nouvelle dimension par d’autres artifices. Né à Malte le 10 juillet 1887, ses aventures se déroulent durant le début du XXe siècle et sont fortement marquées par la Première Guerre mondiale. Le premier album La Ballade de la mer salée se déroule entre 1915 et 1917, c’est un chef-d’œuvre incontestable et aussi le premier « roman en bande dessinée ». Le réalisme est très fort, les détails des uniformes sont nombreux et précis, cependant, on en sort rapidement en voyant apparaître de mystérieux personnages comme le moine sans visage ou un Raspoutine qui n’est pas le vrai tout en lui ressemblant furieusement. C’est donc au talent sans égal d’Hugo Pratt que la Pinacothèque de Paris a décidé de rendre hommage.

L’exposition présentée actuellement permet de découvrir le génie d’un dessinateur et la vie de Corto Maltese à travers ses compagnons et ses voyages. Les premiers albums de la série sont publiés en noir et blanc. Le trait d’Hugo Pratt est très différent des autres auteurs des années 60. Si Jacobs et Hergé privilégient la ligne nette, Pratt préfère se laisser plus de liberté et conférer à ses planches des styles souvent très différents. Dans une des salles, on présente l’ensemble de la bande dessinée La Ballade de la mer salée ; certaines cases pourraient sans difficulté se trouver dans un livre d’ethnologie tellement le dessin est précis, soigné et détaillé, ailleurs, il est plus contemporain s’inspirant directement du graphisme américain, enfin, dans le même album, on peut distinguer un troisième style, celui intemporel, qui caractérise l’art de Pratt. Une ligne simple et dépouillée qui porte immédiatement vers un univers de rêve.

La rétrospective permet également de voir le talent d’aquarelliste de Pratt. Par quelques touches diluées, il réussit à nous porter au cœur de la jungle ou faire admirer le bleu du ciel et le vol élégant des mouettes. Le flou induit par cette technique confère à son dessin une dimension onirique très forte que les autres artistes ne possèdent pas. On peut vibrer aux aventures de Tintin et espérer trouver le secret de la Licorne, ou, avec Blake et Mortimer, découvrir le secret de la Grande Pyramide, mais seul Corto Maltese porte son lecteur au-delà de l’aventure. Le marin à la boucle d’oreille est d’ailleurs un grand rêveur qui réfléchit plus qu’il n’agit. Il est fréquent de le voir adosser à un mur, le regard perdu (La maison dorée de Samarkand) ou à demi endormi comme dans Tango, où le héros somnole dans un champ de blé.

Avec Hugo Pratt, la bande dessinée entre dans les musées, preuve qu’elle est un art à part entière. On reconnaît un grand artiste à sa capacité à créer un univers et à porter ses lecteurs – spectateurs vers d’autres horizons. La mer, le désert, Venise sont les portes que le dessinateur nous ouvre sur un monde merveilleux. Corto Maltese, explorateur intrépide, nous emporte vers un ailleurs peuplé de femmes fatales, de confréries ésotériques et de grands espaces. Comme chez Steevenson, Fenimore Cooper ou encore chez Jules Verne, l’exotisme auquel se mêlent une érudition et une culture sans limite sont les supports d’émotions intenses. Hugo Pratt ajoute à ses prestigieux devanciers, le regard intense et mystérieux de Corto Maltese qui a lui seul est une invitation au voyage.

« Le Voyage imaginaire d’Hugo Pratt », Pinacothèque de Paris, 17 mars – 21 août 2011.

Olivier Andurand, le 07/07/2011.

Un Prince du Rêve

Odilon Redon, Le Bouddha, 1905, Pastel sur papier, Musée d'Orsay, Paris

Encore une fois, c’est vers le Grand Palais qu’il faut se tourner pour trouver des idées de sorties mêlant à la fois l’émerveillement et l’enrichissement. Cette année, riche en expositions de grande qualité, ne faiblit pas ! C’est autour de deux sujets très différents que les Galeries Nationales se sont organisées : d’abord une présentation thématique intitulée « Nature et Idéal, peindre à Rome au XVIIe siècle » et ensuite une rétrospective consacrée au peintre symboliste Odilon Redon.

Si mes pas me portent plus facilement vers la peinture classique, il ne faut cependant pas s’arrêter à la porte d’Odilon Redon. Bien au contraire. « Nature et idéal » se concentre autour des œuvres de Nicolas Poussin et de Claude Gelée dit « Le Lorrain ». Il est évident que les toiles présentées sont superbes, mais le sujet pousse nécessairement à une répétition qui devient rapidement lassante. De plus bon nombre d’œuvres ont déjà été mises en lumière peu auparavant ; ainsi l’an dernier Le Lorrain se trouvait mis côte à côte avec William Turner. Le rapprochement était puissant et le traitement de la lumière du Lorrain permettait de mieux comprendre les influences fondamentales de l’art britannique.

En revanche, la rétrospective consacrée à Odilon Redon est d’une extraordinaire richesse et du plus grand intérêt. Toutes les œuvres majeures de ce grand peintre symboliste sont réunies dans un parcours qui nous emmène des gravures faites pour la Tentation de Saint Antoine  de Flaubert, aux toiles plus colorées de sa grande période, jusqu’aux quelques productions d’art décoratif réalisées pour la salle à manger du château de Domecy.

A l’instar de Gustave Moreau, Redon fait parti du courant symboliste qui brille à la fin du XIXe siècle. Pour ces artistes, le rêve et l’inconnu doivent avoir le droit de cité. Ils se distinguent des impressionnistes et surtout des académistes dont ils gardent pourtant (surtout chez Moreau) la qualité formelle. Redon, mais est-ce vraiment une surprise -, est un proche de Stéphane Mallarmé et comme lui affirme que l’on doit « peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit » ; sa peinture est souvent difficile à cerner, les interprétations y sont multiples. Ainsi, que penser de cette Araignée qui tantôt sourit et tantôt pleure, ou de cet Œil, comme un ballon bizarre, se dirige vers l’infini (1882) qui ouvre l’album A Edgar Poe ? Les études sont multiples, les théories pléthoriques, on admire la maîtrise de la technique de la lithographie, on s’extasie sur le traitement du clair-obscur, mais que signifie profondément l’œuvre ? Nul n’a encore trouvé une réponse vraiment satisfaisante, peut-être faut-il rapprocher l’œuvre de Redon de ce que Rimbaud disait du poète, qu’il était un « voyant ». Enfin, l’ultime dimension saisissante de cette exposition Redon est le traitement stupéfiant de la couleur. Les bouquets de fleurs présentés au Grand Palais s’éloignent des traditionnelles natures-mortes que la peinture hollandaise affectionnait tant. Cocteau admirait l’atmosphère féérique des fleurs de Redon : il n’y a pas vraiment de détails ni de réalité, mais juste des explosions de couleurs, que le public a admiré en son temps et qui semblent encore si fascinantes aujourd’hui. Le Vase de fleurs et profil (1910) pourrait presque passer pour surréaliste tellement le titre est loin de ce qui est représenté ! Comme beaucoup d’autres artistes de la fin du XIXe siècle, Redon est touché par une forme de mysticisme. Comme Huysmans qui se fait moine à Ligugé, le peintre s’intéresse de près aux grands personnages de l’histoire religieuse, le Christ qu’il peint vers 1890 mais aussi le Bouddha auquel il consacre un tableau en 1905. Le Bouddha est représenté debout, il semble immobile au milieu d’un chemin qui est celui de la vérité, selon la philosophie bouddhiste. Ce pastel est un vrai résumé de l’art de Redon. Le Bouddha a les yeux clos ce qui renforce l’atmosphère méditative de la toile, le sentier de la vérité est aussi une métaphore de la réflexion créatrice de l’artiste et on retrouve ce thème, comme d’autres d’ailleurs, dans nombre de ses œuvres.

Pour sa peinture complexe, envoutante et mystérieuse, le travail d’Odilon Redon gagne à être mieux connu. Ici, plus que la si classique présentation « Nature et Idéal », il faut absolument aller découvrir la rétrospective Odilon Redon. Les toiles parlent et invitent à un voyage plus profond et subtil que les paysages romains de Poussin, puisqu’il nous amène au-delà du réel.

« Nature et idéal : le paysage à Rome, 1600–1650 ». Galeries nationales du Grand Palais, 9 mars - 6 juin 2011.

« Odilon Redon, Prince du Rêve ». Galeries nationales du Grand Palais, 23 mars - 20 juin 2011.

Olivier Andurand, le 31/05/2011.

Une autre vision de la Renaissance

La Justice, Lucas Cranach

Au XIXe siècle, les liens entre l’Italie et l’Allemagne étaient nombreux et les artistes n’hésitaient pas à les célébrer. Pensons d’abord au poème de Goethe, Mignon qui commence par ces vers que tout germaniste a rencontré au moins une fois :

Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn,

Im dunkeln Laub die Goldorangen glühn,

Ein sanfter Wind vom blauen Himmel weht,

Die Myrte still und hoch der Lorbeer steht?

Kennst du es wohl? Dahin!

Dahin möcht' ich mit dir,

O mein Geliebter, ziehn.

Chez Johann Friedrich Overbeck, plutôt que de vanter la beauté du paysage italien et l’odeur suave des citronniers et des orangers, on passe à une représentation familiale. Italia et Germania sont deux sœurs que seules les Alpes séparent, mais elles n’ont qu’une âme, qu’un souffle commun.

Depuis le Moyen-Age des relations étroites existent entre les deux espaces. Les artistes de la Renaissance ont beaucoup profité de la proximité et n’ont cessé de passer les cols alpins pour découvrir l’autre côté et y apporter leurs nouveautés, leurs techniques. Pensons ainsi à Dürer dont on connait les séjours à Venise qui s’ouvre facilement au commerce et aux influences germaniques par la présence de son fameux Fondacco dei Tedeschi près du Rialto. Quelques italiens font aussi le déplacement inverse et quittent la péninsule, ainsi Jacopo de’ Barbari quitte-t-il la Sérénissime pour la vallée du Rhin et ensuite pour les Pays-Bas. De ces contacts multiples et répétés va sortir un art nouveau dont le représentant, aujourd’hui à l’honneur dans une merveilleuse exposition au Musée du Luxembourg, est Lucas Cranach. Moins connu que son confrère Dürer, Cranach n’en reste pas moins un peintre d’un immense talent et qui surtout manifeste une manière (dans le sens italien de maniera) tout à fait différente de celle très connue des Italiens.

Artiste de cours autant que polémiste génial, Cranach se situe à un moment clé de l’histoire du Saint Empire. D’abord au service de l’Electeur de Saxe, Frédéric le Sage, Cranach travaille à la confection de tableaux de dévotion très classiques. Vierges à l’Enfant et saintes familles sont son lot quotidien. Déjà se dégage un style très personnel mêlant influence italienne et médiévale, et conférant une sensualité très particulière aux visages de ses modèles.

C’est cependant la réforme luthérienne qui donne à Cranach une audience plus forte. Ami proche de Martin Luther, les deux hommes se sont rencontrés dans le milieu humaniste de Wittenberg. Lucas Cranach se range dès les débuts de la prédication du moine de Wittenberg dans son camp et œuvre à la diffusion de ses thèses réformatrices et des grandes figures de la Réformation. Il va peindre de nombreuses fois Luther lui-même, mais aussi Melanchthon, Spalatin, Frédéric le Sage. Cranach se fait porte parole d’une foi nouvelle et sa peinture est nimbée de cette spiritualité, sans toutefois perdre toute dimension sensuelle et même érotique.

L’adhésion de Cranach aux positions de Luther ne lui a tout de même pas ôté le goût de la mythologie. Lucrèce, Venus, Hercule sont des thèmes largement traités par l’atelier de Cranach ; pensons aussi aux Trois Grâces, tableau acquis en décembre dernier par le musée du Louvre. Son intérêt porte encore plus loin en choisissant de construire des allégories. La plus célèbre est sans conteste la Justice. Une femme, le corps légèrement recouvert d’un voile, tient dans sa main droite un glaive et dans la gauche une balance. Elle manifeste picturalement l’importance de cette vertu qui fait le lien entre le christianisme (c’est une des vertus théologales) et la philosophie antique (pour Platon, elle est la racine de toute vertu). C’est donc une peinture humaniste qui se donne à voir, complexe, demandant une grande érudition mais tellement passionnante.

L’exposition actuellement présentée au Musée du Luxembourg mérite donc une visite longue et approfondie, ne serait-ce que pour pouvoir profiter des œuvres en luttant contre la foule. Elle permet de rendre compte de la richesse symbolique d’une peinture à laquelle on ne rend pas assez hommage et de rétablir un peu l’équilibre entre l’art italien, si célèbre, et son frère germanique, un peu plus négligé.

Cranach et son temps, Musée du Luxembourg, exposition du 9 février au 23 mai 2011.

Olivier Andurand, le 10/04/2011.

Bravo Maestro

Zubin Mehta, direction de l'Orchestre du Mai Musical Florentin

Le Théâtre des Champs-Elysées est surement une des plus belles scènes de Paris ; les plus grands artistes se pressent pour jouer ici. Le vendredi 21 et le samedi 22 janvier 2011, c’est l’Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino placé sous la direction de Zubin Mehta qui régalait les spectateurs parisien d’un programme exceptionnel.

L’orchestre florentin fait partie des plus anciennes formations italiennes. Fondé en 1928, il a depuis une activité très importante au Teatro Comunale de Florence et pour le plus grand bonheur des spectateurs étrangers, les musiciens font de très nombreuses tournées en Europe et dans le monde. Les plus grands chefs se sont succédés à leur tête : Wilhelm Furtwängler, Bruno Walter, Herbert von Karajan, Claudio Abbado, George Prêtre, ou encore Lorin Maazel.

Aujourd’hui c’est le grand chef indien Zubin Mehta qui assure la direction à vie de l’Orchestra del Maggio. Formé à Vienne à l’Akademie für Musik, il commence par diriger les orchestres de Montréal et de Los Angeles puis entame une collaboration suivie et fondamentale avec le Philharmonique d’Israël. Aimant autant la musique symphonique que l’opéra, il est un des grands maîtres de la direction musicale actuelle.

Aux Champs-Elysées, Zubin Mehta et ses musiciens ont offert à un public conquis le superbe poème symphonique Shéhérazade de Nikolaï Rimsky-Korsakov et la Symphonie n°1 en ut mineur de Johannes Brahms.

Rimsky-Korsakov est un des grands compositeurs russes de la fin du XIXe siècle. Formé à l’école de Balakirev, il commence à composer vers 1860. C’est 1888 qu’il crée Shéhérazade sous la forme d’un poème musical, intermédiaire entre la Symphonie fantastique de Berlioz et les œuvres de Franz Liszt. La partition de Rimski-Korsakov est typique du courant artistique du XIXe siècle appelé "écoles nationales qui consiste en l'utilisation de « couleurs » locales et facilement identifiables.

Rimsky nous emmène dans un monde à mi-chemin entre l’Orient des Mille et une nuits et la Russie. Sous la baguette de Zubin Metha, l’œuvre prend une dimension magique qui transporte l’auditeur dans la chambre même du Sultan à écouter les histoires de la belle Shéhérazade. Le talent du premier violon florentin traduit exactement la voix de la conteuse et le souffle de l’ensemble porte jusque que dans le bateau de Simbad le Marin. Le triomphe a été mérité tant la poésie avait empli la salle.

L’émotion arrive à son paroxysme avec la magistrale interprétation de la Symphonie n°1 de Brahms. Les premières mesures tirent toutes les forces de l’orchestre. Les gestes du Chef semblent faire monter du plus profond de la terre les notes qui résonnent dans la salle du concert. Zubin Mehta et son orchestre ne forment qu’un seul être ; la fusion est totale et chaque musicien n’est qu’un prolongement de la baguette du chef. Hommage à Beethoven, cette symphonie dégage une force que l’orchestre a parfaitement su faire passer. Quand le Chef  a baissé sa baguette pour la dernière fois, c’est toute la salle qui, dans un mouvement contraire, s’est levée pour applaudir à tout rompre et lancer des bravos à un maestro visiblement heureux d’avoir réussi une telle interprétation.

Pour ce premier message de l’année, je voulais vous raconter un moment de grande harmonie et c’est sous ce signe que je souhaiterais placer cette année qui commence. A tous ceux qui aiment la musique, qui chantent sous la douche ou en écoutant la radio, qui dirigent des orchestres imaginaires, qui s’imaginent être les plus grands artistes, pour qui l’art et culture sont des aspects essentiels à la vie, je présente mes meilleurs vœux de joie de santé et de réussite pour l’année 2011. Je souhaite aussi à tous ceux qui liront ces lignes d’avoir un jour la chance de vivre de tels moments et de trouver ce qui pourra guider leur vie, telle la baguette d’un chef d’orchestre.

Olivier Andurand, le 22/01/2011.

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