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La Sécession viennoise à Paris

Gustav Klimt, « Le baiser », Frise Beethoven, 1901, Vienne, Pavillon de la Sécession

Le tournant des XIXe et XXe siècles a été un moment de grande explosion intellectuelle et culturelle en Europe, mais principalement à Vienne. Cœur d’un empire immense, ville cosmopolite, la fin du règne de François-Joseph voit la capitale des Habsbourg s’ouvrir complétement à la modernité. Plusieurs noms émergent lorsqu’il faut évoquer cette période, Richard Strauss ou Gustav Mahler en musique, Arthur Schnitzler en littérature et bien évidemment Sigmund Freud, père de la psychanalyse. Ces célébrités vivent dans un monde qui change rapidement et leur œuvre fait écho aux bouleversements permanents.

Si la ville se transforme aussi rapidement, c’est sous l’impulsion d’un groupe d’artistes novateurs parmi lesquels on compte Gustav Klimt, Koloman Moser ou encore l’architecte Joseph Maria Olbricht. Réunis dans la Vereinigung bildender Künstler Österreichs Secession, ils profitent des très nombreuses commandes dues à l’extension de la cité impériale. Formés à l’académisme, ils s’en écartent rapidement, comme Klimt, qui réalise les médaillons du Kunsthistorisches Museum puis, peu après, le cycle du grand hall de l’Université de Vienne.

Les fondateurs de la Sécession s’organisent autour d’œuvres phares comme le fameux pavillon construit en 1897, au fronton duquel, on peut lire « À chaque époque son art, à l’art sa liberté », et la revue Ver Sacrum qui définit dans son premier numéro le manifeste de ce nouveau courant : « Notre art n’est pas un combat des artistes modernes contre les anciens, mais la promotion des arts contre les colporteurs qui se font passer pour des artistes et qui ont un intérêt commercial à ne pas laisser l’art s’épanouir. Le commerce ou l’art, tel est l’enjeu de notre Sécession. Il ne s’agit pas d’un débat esthétique, mais d’une confrontation entre deux états d’esprit. »

Ce sont ces enjeux que l’exposition de la Pinacothèque de Paris essaye d’illustrer. Les œuvres présentées sont principalement du Musée du Belvédère de Vienne et rassemblent des peintures, quelques sculptures, des photographies de monuments emblématiques, des bijoux et des meubles, prouvant ainsi que la réflexion s’est portée autant sur les arts décoratifs que sur ceux qu’on qualifie de « majeurs. » Les membres de la Sécession sont sensibles au concept de Gesamtkunstwerk, « œuvre d’art totale », fondé par Otto Runge et illustré magnifiquement par Richard Wagner.

Il serait fastidieux de détailler l’ensemble des thèmes abordés dans l’exposition mais la construction du parcours de visite permet de faire une progression à la fois chronologique et esthétique amenant le spectateur à passer des fondements académiques aux développements de l’expressionnisme autour des disciples de Klimt comme Koloman Moser ou Egon Schiele.

Plusieurs œuvres retiennent pourtant l’attention du nombreux (trop nombreux ?) public. Il s’agit d’abord de la copie de la frise Beethoven et ensuite de la si sensuelle Judith.

La frise est la contribution la plus importante de Klimt à la XIVe exposition de la Sécession viennoise et se trouve encore aujourd’hui dans le Pavillon pour lequel elle a été créée. Organisée autour de la sculpture de Max Klinger représentant le maître et suivant la description de la Neuvième Symphonie par Richard Wagner. Le compositeur décrit ses impressions d’écoute et mobilise de très nombreuses références tirées de la mythologie et des poèmes de Goethe. Il s’agit d’un « combat grandiose de l’âme luttant pour la joie contre la poussée de violence hostile. » Le travail de Klimt a donc été de réussir à créer un dialogue entre la vision wagnérienne de la musique, le sens de l’œuvre de Beethoven, et sa propre conception artistique. Longue de 22 mètres, elle culmine avec la scène du « baiser à l’humanité » qui conclut l’Hymne à la joie. La frise permet de réaliser pleinement l’idée d’œuvre totale et de souligner le rôle de l’art dans l’accès à la plénitude du bonheur incarné par ce couple s’entassant.

L’autre tableau majeur de cette exposition est la Judith créée en 1901. La sainte est représentée les yeux mis clos, la bouche légèrement entr’ouverte ; tout est fait pour souligner la sensualité de cette femme fatale. Les bijoux, dont on sait depuis Baudelaire, la puissance érotique viennent renforcer le dialogue entre l’Eros – l’amour – et Thanatos – la mort – que Freud a théorisé dans ses Essais de psychanalyses. L’œuvre de Klimt est la représentation des deux pulsions principales de l’homme et forme une sorte de manifeste de la théorie de l’inconscient encore balbutiante.

On pourrait formuler bien des critiques sur cette exposition, les conditions de visite ou l’organisation de la présentation, mais elle a tout de même le mérite de porter la lumière sur un moment essentiel de la vie intellectuelle et artistique du début du siècle. La Sécession viennoise fait le pont entre un art académique sclérosé et la découverte des forces de l’esprit. Elle montre aussi l’interpénétration entre tous les arts et le contexte philosophique qui les voit naître. En complétant cette visite par la lecture du catalogue de l’exposition du Grand Palais de 2006, Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka : Vienne en 1900, le visiteur rendra pleinement justice à cette période majeure de l’art occidental.

« Au temps de Klimt, Vienne au temps de la Sécession », Pinacothèque de Paris, 12 février - 21 juin 2015.

Olivier Andurand, le 28/02/2015.

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